« Réussir l’inclusion numérique » : le premier forum de Connexions Solidaires

Le 27 novembre s’est tenu le premier forum du programme Connexions Solidaires, initié par Emmaüs Connect dans l’objectif de « faire du numérique un levier d’insertion ». Alors que près de 20% des Français sont exclus du numérique, dont six millions de personnes en situation de précarité, cet évènement a été l’occasion de réunir les acteurs sociaux, associatifs, publics et privés impliqués dans la lutte contre l’exclusion numérique et de débattre autour de la thématique « Réussir l’inclusion numérique ».

  • Connexions Solidaires

Pour rappel, Connexions Solidaires est un programme initié par l’association Emmaüs Connect, qui a pour vocation d’accompagner les personnes en situation de précarité, orientées par un référent social, afin qu’elles se constituent un bagage numérique minimum. L’initiative se décompose ainsi en deux volets : garantir un accès juste et durable aux télécommunications et permettre l’acquisition des compétences numériques de base.

Point d’étape en 2014 :

> 10 000 bénéficiaires,
> 60 000 recharges solidaires vendues (téléphonie et Internet),
> 300 cas de litiges ou impayés traités,
> 25 emplois en insertion créés,
> 87% des anciens bénéficiaires déclarent que le programme leur a permis de faire des économies durables par rapport à leurs situations initiales.

  • Les enseignements de l’étude  réalisée par Emmaüs Connect

Le forum s’est ouvert sur la présentation d’une étude réalisée par Emmaüs Connect auprès de ses bénéficiaires afin de pallier le déficit d’information chiffrée sur l’exclusion numérique. Elle révèle que l’accès au numérique est un outil permettant aux personnes d’être en capacité de s’intégrer en améliorant leur estime de soi, par le développement de liens sociaux et un apaisement psychologique.

Parmi les principaux résultats de cette étude :

  • La réussite de l’inclusion numérique repose sur trois piliers : (1) L’accès, en proposant des offres et équipements accessibles et solidaires ; (2) La motivation, en partant des besoins exprimés par le bénéficiaire pour montrer l’utilité d’Internet et offrir des parcours personnalisés ; (3) Les compétences, en associant la médiation numérique à l’accompagnement non professionnel.
  • Les principales difficultés rencontrées par les bénéficiaires à leur entrée dans le programme : Alors que 82% des personnes interrogées possèdent un téléphone portable, un tiers n’ont aucun moyen d’accès à Internet. De plus, les dépenses liées à la téléphonie représentent en moyenne 8% du budget mensuel contre 1% pour la moyenne des Français. Enfin, deux tiers des personnes interrogées ne disposent pas du bagage numérique de base (création d’adresse mail, connexion à Internet, recherche d’information ou installation d’un antivirus, etc.).
  • Le numérique est aujourd’hui un outil incontournable …
    80% des offres d’emploi sont publiées sur internet et 85% des services publics sont accessibles en ligne. Il s’agit d’un outil permettant tant de s’informer, créer du lien social (réseaux sociaux), faire des économies ou consommer des produits de culture dématérialisés.
  • … mais qui peut créer de l’exclusion
    61% des français de plus de 70 ans et 48% des non diplômés ne possèdent pas de connexion Internet à domicile.
    Contrairement aux idées reçues, l’exclusion numérique n’est pas une question générationnelle : des jeunes sont en situation de précarité numérique, et bien qu’ils sachent souvent utiliser Facebook, cela ne signifie pas qu’ils soient par exemple capables d’envoyer un mail avec une pièce jointe dans le cadre d’une recherche d’emploi. Comme l’a déclaré Axelle Lemaire, Secrétaire d’État chargée du numérique, auprès du Ministre de l’Économie, de l’industrie et du numérique lors de la clôture du forum, « la capacité de se saisir du numérique dépend plus de l’environnement social que de l’âge ».

Si les freins à l’inclusion numérique sont nombreux (illettrisme, coût élevé des télécommunications, absence de compte courant, absence de logement, méconnaissance d’internet, défiance envers les technologies numériques, manque de compétences numériques de base), ils ne sont pas insurmontables comme cela a été démontré lors des trois tables rondes qui se sont déroulées lors de cette journée.

  • Les enseignements des tables rondes du Forum

Table ronde 1 : Comment réussir le virage « France numérique » au service de tous les citoyens ?

Au-delà de la question de l’accès physique au numérique, la question des usages a été au cœur du débat. L’accompagnement est indispensable pour apprendre à utiliser internet : en effet, plus un enfant d’ouvrier passe de temps sur Internet, plus ses résultats sont en baisse tandis que dans le cas d’un enfant issu d’une famille CSP+, l’utilisation d’Internet aura un impact positif sur les résultats scolaires.

Le rôle d’acteur de l’innovation sociale et technique des associations pour montrer la voie aux autorités publiques a été souligné, tout comme le rôle du privé pour inspirer le secteur public, notamment sur la question des services d’accès au droit en ligne (rendre les sites plus ergonomiques, plus simples d’utilisation, etc.).

Le fort retard de l’administration et sa nécessaire réorganisation afin d’éviter de créer un service public à deux vitesses a été mis en exergue. Ainsi, il est stupéfiant de constater que seul 17% des demandeurs d’emploi figurent dans la CVthèque de Pôle Emploi alors que 80% des offres d’emploi se trouvent aujourd’hui sur Internet, et bien souvent uniquement sur Internet.

Intervenants :
Stéphanie BRIATTE, responsable Seine Saint-Denis, Connexions Solidaires
Marie-Line DESNOYES, responsable adjointe, CCAS de Saint-Denis
Philippe LEMOINE, président, Forum d’Action Modernités
Laure WAGNER, co-fondatrice, BlaBlaCar

Table ronde 2 : (R)évolutions de l’accompagnement social avec les outils numériques

Il est indispensable que le secteur social s’approprie tant techniquement que culturellement le numérique afin de créer de nouveaux services sociaux, notamment adaptés aux besoins des personnes précaires (aujourd’hui très peu de services en ligne sont à destination des personnes en situation de précarité).

Ce débat fut l’occasion de braver certaines idées reçues : l’e-inclusion n’est pas synonyme de disparition du lien social. Par une dématérialisation des tâches administratives, les agents sociaux peuvent gagner du temps et concentrer leurs actions sur l’accompagnement. De même, les réseaux sociaux peuvent être utilisés comme intermédiaires à des connexions « réelles ».
Des exemples de bonnes pratiques et de projets pilotes ont été discutés, comme par exemple la création d’une application mobile pour aider les jeunes à l’insertion professionnelle, réalisée dans un partenariat entre Connexions Solidaires, Cap Gemini et la Mission locale de Lille.
La nécessaire collaboration entre toutes les parties prenantes de l’inclusion numérique (secteur privé, collectivités locales, académiques, associations, société civile, intervenants sociaux) a été mise en lumière tout au long du forum.

Pour aller plus loin, consultez le Rapport du Conseil National du Numérique « Citoyens d’une société numérique – Accès, littératie, médiations, pouvoirs d’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion »

Intervenants :
Philippe WALTER, Vice-Président France et Europe du Sud, CapGemini Consulting
Olivier JASTRZAB, directeur adjoint, Mission locale de Lille
Benoît THIEULIN, président, Conseil National du Numérique
Jean POULY, directeur du développement et Professeur associé, International Rhône-Alpes Media

Table ronde 3 : Permettre à tous d’être SmartCitizen, une responsabilité collective

Le rôle des autorités publiques :
Un des grands challenges réside dans le fait que la compétence numérique est éclatée à tous les échelons de la politique publique (État, Conseils Régionaux, Conseils Généraux, Municipalités), entrainant une superposition des compétences.
Ségolène Neuville, secrétaire d’État auprès de la Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, chargée des Personnes handicapées et de la Lutte contre l’Exclusion a annoncé lors du forum qu’elle proposerait d’intégrer l’inclusion numérique au Plan de lutte de contre la pauvreté. Pour rappel, le Plan de lutte contre la pauvreté lancé en 2013 va faire l’objet d’un bilan de mi-parcours en janvier 2015. Ses objectifs en matière de lutte contre la pauvreté et d’inclusion numérique seront de conduire à une simplification de l’accès aux droits et à une facilitation de la transmission des données d’une institution à une autre.

Le rôle des associations :
Les associations ont tout d’abord une fonction expérimentale. Grâce à la plus grande souplesse dont elles disposent dans la gestion de leurs activités, elles permettent d’identifier des bonnes pratiques qui pourront par la suite « passer à l’échelle » dans le cadre d’initiatives publiques ou privées. Leur rôle de plaidoyer et de mobilisation citoyenne est indispensable pour permettre aux citoyens d’avoir les clés pour participer à la lutte contre l’exclusion numérique.

Le rôle du secteur privé, l’exemple de SFR :
Selon le Président d’Emmaüs Connect, Bertrand Guigon, « le partenariat avec SFR est un partenariat exemplaire en France ». Co-fondateur du projet Connexions Solidaires, SFR s’est impliqué tant en créant une offre de produits et services adaptés à tarif solidaire qu’en impliquant ses salariés (200 bénévoles ont participé au projet depuis 2010).

Intervenants :
Jérémy LACHAL, directeur général, Bibliothèques Sans Frontières
Valérie FRANCOIS, chargée de projet numérique, Conseil Régional de Rhône-Alpes
François BLANC, directeur du Programme Numérique, ERDF
Yann TANGUY, délégué général, Fondation SFR
Marie-Hélène MARTINEZ, chef de service Usages et services Numériques, Caisse des Dépôts

Ainsi, réussir l’inclusion numérique repose sur des stratégies de partenariats intégrant l’ensemble des parties prenantes afin de donner accès mais aussi les clés pour utiliser pertinemment les outils numériques.

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter en ligne la 1ère édition de la veille initiée par Emmaüs Connect sur les sujets d’inclusion numérique : « Les Cahiers Connexions Solidaires ».