« Le grand malaise. Enquête sur les classes moyennes » : nouvel essai publié par la Fondation Jean Jaurès

Alors que la crise s’installe durablement dans le paysage économique français, la Fondation Jean Jaurès (proche du Parti socialiste) propose une analyse du sentiment de « déclassement social », qui atteint les classes moyennes, à travers le regard de trois experts.

Jean Jaurès bis

En 2006, le sociologue Alain Mergier soulignait déjà la perte de confiance des Français en la mobilité sociale dans une étude également publiée par la Fondation Jean Jaurès : « Le descenseur social. Enquête sur les milieux populaires ». Alors que 52% des français se classaient dans la catégorie des classes moyennes, ils ne seraient, aujourd’hui, plus que 48%. Afin de comprendre les tensions économiques et sociales qui affectent la société française depuis 2010 (date de la dernière grande enquête de l’Ifop à ce sujet), la Fondation Jean Jaurès a souhaité donner la parole à Jérôme Fourquet (directeur du département « Opinion et stratégies d’entreprises » de l’Ifop), Alain Mergier et Camille Peugny (sociologue).

Deux ans après l’enquête de l’Ifop sur les classes moyennes, Jérôme Fourquet présente une nouvelle photographie de l’opinion française sur leur sentiment de déclassement. Bien que la majorité des Français considère encore appartenir aux classes moyennes (48%), l’appartenance à ce groupe est en recul par rapport à 2010. Le pourcentage des personnes s’identifiant aux classes moyennes modestes est passé de 29% à 33% en seulement deux ans ; celui des Français s’identifiant aux classes défavorisées de 4% à 6%. Si l’on agrège les trois classes en bas de l’échelle sociale (défavorisées, moyennes inférieures et « moyennes véritables »), ce bloc a augmenté de 10 points, qui sont autant de points perdus par le bloc regroupant les trois catégories « supérieures ». Selon Jérôme Fouquet, ces évolutions spectaculaires révèlent à quel point la société française s’est sentie affectée par la crise économique.

Parallèlement à la hausse du sentiment de déclassement social, Jérôme Fourquet constate un effet de seuil important, en termes d’assujettissement aux impôts sur le revenu, entre les classes moyennes « véritables » et celles du dessous. L’impression, pour cette catégorie de français, de contribuer fortement au modèle social à la française sans en percevoir de bénéfices suffisants génère un profond rejet de l’assistanat.

La sociologue Camille Peugny complète cette première analyse en apportant, d’une part, son point de vue quant au déclassement social (réel et perçu) et en mettant en lumière, d’autre part, la dualisation de la structure sociale. Camille Peugny révèle, en effet, que cette « spirale du déclassement » affecte en profondeur la cohésion sociale, ce qui fracture la société française entre les gagnants et les perdants de la mondialisation. Face à des inégalités qui se creusent (les 10% des français les plus concentrent aujourd’hui la moitié de la richesse nationale), la sociologue s’inquiète de constater que les plus aisés semblent chercher à s’affranchir de l’effort de solidarité nationale. Dans une société où chacun se sent tiré vers « le bas de l’échelle » et prend comme bouc-émissaire celui qui est au-dessous de soi, les partis autoritaires et conservateurs peuvent prendre de l’ampleur. Camille Peugny conclut son analyse sur la nécessité, pour le gouvernement, de s’attaquer en priorité à cette dualisation de la société française.

Dans une troisième partie, Alain Mergier revient, tout d’abord, sur l’analyse du discours de l’expérience sociale des milieux populaires qu’il avait entrepris dans le « Descenseur social » en 2006. Il rappelle, cependant, que la crise de 2008 a modifié radicalement cette situation et qu’elle aurait ouvert une nouvelle et durable époque politique où le pouvoir financier mondialisé dominerait les Etats.

  • « Après cinq ans de crise, la crainte n’est pas tant de voir descendre l’ascenseur que de voir l’immeuble s’effondrer », Alain Mergier.

L’étude est téléchargeable ici.